LES TROUBLES ÉRECTILES NE SONT PAS UNE FATALITÉ
Beaucoup en souffrent mais peu consultent. Alors qu’une érection vacillante, plus qu’un sujet de plaisanterie, peut être un signe clinique grave. Le point avec le psychiatre et sexologue Christian Rollini. Quand on parle de troubles érectiles, souvent on rigole. On n’imagine pas que ça puisse être grave. Eh bien, on a tort.» Difficile en revanche de ne pas prendre au sérieux le Dr Christian Rollini, vice-président de la Swiss Society of Sexology (SSS), puisqu’il est à la fois médecin, psychiatre, sexologue et thérapeute de couples. Grave, la dysfonction érectile? Oui, dans le sens où elle peut être «un signe avant-coureur d’un problème cardiovasculaire». Elle est même devenue «l’un des meilleurs moyens de détection d’attaques cérébrales ou cardiaques pouvant se produire en moyenne deux ou trois ans plus tard». Normal, le pénis renferme des artères plus petites que celles du coeur par exemple, qui se bouchent donc plus tôt. Les chiffres, eux non plus, ne sont pas très affriolants. Selon le groupe pharmaceutique Lilly, jusqu’à 50% des hommes entre 40 et 70 ans souffriraient de dysfonctionnements érectiles, mais seuls 10% choisiraient de consulter. Des causes multifactorielles Longtemps, en l’absence de tout produit efficace et de connaissances étendues, la médecine a privilégié la piste psychologique. Depuis l’avènement du Viagra et de ses concurrents, les causes de nature physiologique ont pris le dessus. Mais, rappelle Christian Rollini, les difficultés d’érection résultent d’un ensemble de facteurs souvent mêlés –«anxiété, dépression, maladies cardiovasculaires, prise de produits toxiques, usure due à l’âge…» – et varient selon le profil du patient. «Pour quelqu’un entre 20 et 30 ans en bonne santé, on pourra penser à des troubles psychologiques en premier lieu. A partir de 40 ans, on cherchera avant
tout à exclure un problème organique.» Il ne sert à rien de se précipiter, au premier dysfonctionnement, chez un psychiatre ou un urologue. «Avec du stress ou de la fatigue, des pannes, de temps en temps, tout le monde peut connaître ça. Récemment, un jeune homme est venu nous voir après une première expérience ratée avec sa copine. On s’est contenté de le rassurer.» Il s’agira par contre de consulter en cas de «troubles persistants, sur plusieurs semaines ou quelques mois». Trois médicaments se partagent aujourd’hui le marché, tous assez semblables, avec de légères variantes. L’effet du Cialis s’étale par exemple sur une durée plus longue, environ 36 heures. Christian Rollini refroidit aussitôt les éventuels enthousiasmes: «Ces médicaments ne sont que des facilitateurs de l’érection. Vous n’allez pas vous retrouver avec un priapisme de 36 heures, ce qui pourrait être dangereux.» «Les problèmes sexuels, ça se joue à deux» En cas de consultation, et contrairement à ce qu’on pourrait supposer, le traitement ne sera pas forcément et uniquement médicamenteux. Christian Rollini prône ainsi des diagnostics individualisés. Les troubles érectiles de tel patient pourront par exemple n’être qu’une «manière d’exprimer son impuissance à équilibrer la relation qu’il vit. On oublie parfois que les problèmes sexuels, ça se joue à deux.» Dans de tels cas, il n’est pas sûr que le Viagra soit d’un grand secours: «Quelquefois, le médicament peut être un coup dans l’eau, une première cartouche qu’on grille trop vite.» La vaste campagne d’information menée ces derniers mois, à coups de spots télévisés ou du site www.plusdexcuses.ch, par le groupe pharmaceutique Lilly, Christian Rollini la verrait plutôt d’un bon oeil. «Nous les médecins sommes en général de mauvais communicateurs et pourtant les premiers à nous plaindre que les gens soient si mal renseignés.» Bien sûr de telles opérations sont un peu orientées. Le monde pharmaceutique aura tendance à mettre en avant ce qui l’avantage: la prédominance des causes organiques. Lilly fabrique ainsi un des trois médicaments concernés. Mais l’essentiel est que «le message passe », à savoir que «les troubles érectiles, c’est plus fréquent qu’on ne pense et que ça peut se traiter». La première tâche du sexologue sera de «dédramatiser», notamment en «félicitant la personne d’avoir entrepris cette démarche de consultation». S’ensuivra une évaluation qui devrait être la plus interdisciplinaire possible. «Un psychiatre comme moi, explique Christian Rollini, sera plus tenté de chercher des facteurs psychologiques, mais il est bon qu’il collabore avec un urologue, histoire de ne pas laisser passer par exemple une prostatite.» Lequel urologue de son côté «aura parfois peu de temps à consacrer au dialogue et aura tendance à prescrire le médicament sans
tenir assez compte du contexte psychosocial qui est un facteur fréquemment en cause». Sans surprise, l’hygiène de vie joue un rôle important: l’alcool et le tabac sont déclarés ici ennemis de toute virilité. Le tabac, par son effet néfaste sur l’irrigation sanguine qui elle-même permet l’excitation sexuelle. Quant à l’alcool, certes, à chacun ses expériences et les témoignages peuvent paraître contradictoires: aphrodisiaque une fois, coupe- sifflet une autre. Christian Rollini règle le cas: «C’est la dose qui fait le poison.» La gêne qu’il peut y avoir à consulter pour des questions de ce genre, Christian Rollini affirme qu’elle est parfois présente aussi, et à un degré qui peut être encore plus virulent, chez les praticiens. Il y a là bien sûr comme un paradoxe: «Nous vivons certes dans une société où le sexe est omniprésent mais nous éprouvons encore beaucoup de gêne face à la sexualité, et pas pour de bonnes raisons, pas parce qu’elle doit rester de l’ordre de l’intime. Nous sommes gênés non par pudeur mais plutôt par pudibonderie.» Enfin, suggère le sexologue, il pourrait être légitime de se demander «si toute la sexualité se résume bien à la qualité d’une érection». Si elle n’engloberait pas d’autres choses, y compris «même si c’est une notion vague et difficile à définir, de l’amour». TEXTE LAURENT NICOLET / PHOTO PLAINPICTURE
LE SYNDROME HEMINGWAY
Le Viagra et les autres produits similaires auraient peut-être dissuadé l’écrivain Ernest Hemingway, devenu impuissant, de se suicider à la carabine de chasse. On peut néanmoins se poser la question: jusqu’à quand se doper à la petite pilule bleue? A partir d’un certain âge, «ne plus pouvoir» ne serait-ce pas simplement franchir une étape naturelle? Christian Rollini nuance. D’un côté il faudrait éviter de tomber dans le travers contemporain de «la performance à tout prix»: «La majorité d’ailleurs à partir d’un certain âge choisit de laisser tomber, de renoncer à toute vie sexuelle.» Mais ce n’est pas la seule voie. Ceux qui persistent, parfois grâce à l’aide des médicaments idoines, et conservent une activité sexuelle «même au-delà de 80 ans, sont en général très satisfaits de ce choix».
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